Porté par la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, le projet de loi 22 sur l'expropriation vise à changer la donne.
Alors, en quoi consiste-t-il ? Quels sont ses objectifs ? Fait-il l'unanimité ?
On fait le point.
Explications relatives au projet de loi 22
Pour bien comprendre les enjeux, il convient d'expliciter plus en détail la notion d'expropriation.
Lorsqu'un projet public est mis sur pied, le constructeur peut souhaiter récupérer un immeuble lorsque celui-ci se trouve sur le zonage du terrain. Pour y parvenir, il traite alors avec le propriétaire du bâtiment, qui n'est initialement pas vendeur, afin de lui formuler une offre d'achat. En cas d'accord entre les 2 parties, le projet peut alors avancer de manière fluide jusqu'à son terme.
Si la personne ne souhaite pas vendre sa propriété, elle peut alors se trouver sous le coup d'une expropriation. Ici, l'expropriant impose la cession de l'immeuble à son propriétaire, en contrepartie du versement d'une compensation financière. Fixée par le tribunal, cette somme est déterminée en fonction de la valeur de l'immeuble et du préjudice causé par l'éviction.
Dans les faits, les 2 parties qui s'opposent généralement dans une procédure d'expropriation correspondent :
- Au gouvernement ou à une municipalité pour l'expropriant;
- À un entrepreneur immobilier pour l'exproprié.
Le fait est que les municipalités ont multiplié ces derniers mois les demandes afin de réduire les coûts liés à ce type d'éviction. Avec la réforme prévue, l'objectif annoncé est d'uniformiser la procédure d'expropriation. Son amélioration est ainsi censée permettre de réaliser plus rapidement des projets publics.
Davantage de droits pour les expropriants
À la lecture du projet, un constat se dresse : le pouvoir des expropriants en sera renforcé.
En témoigne l'article 74, qui stipule que « la partie dessaisie doit informer l’expropriant avant d’engager les dépenses liées à une indemnité qu’elle entend réclamer dans le cadre de la fixation de l’indemnité définitive ». Cela signifie que la municipalité concernée aura désormais un droit de regard, voire de désaccord à l'égard des dépenses engagées par l'exproprié, en lien avec son indemnité.
De plus, l'expropriant pourra modifier le zonage du terrain relatif à son projet en amont de la procédure. Une telle manoeuvre lui permettra ainsi de proposer une indemnité financière moins conséquente au propriétaire évincé.
L'article 17 stipule toutefois que l'exproprié peut contester la décision, dans un délai de 30 jours suivant la date d'expropriation.
Un projet vivement critiqué
En commission parlementaire, plusieurs groupes ont vivement dénoncé les contours de cette loi sur l'expropriation en préparation.
Le recul du droit de propriété est l'un des principaux arguments avancés. Si l'indemnité est élevée actuellement, c'est selon eux pour protéger un droit fondamental qu'est celui des citoyens.
L'entrée en vigueur d'une telle réforme pourrait par ailleurs entrainer des dérives à l'avenir. Par exemple, les propriétaires pourront se faire saisir un bien sans pouvoir défendre leurs intérêts convenablement.
Autre axe évoqué : la mesure peut affecter la compétitivité des investissements. Les entrepreneurs réfléchiront davantage avant de passer à l'action, ce qui peut accentuer davantage encore la crise du logement existante.
Réponse d'Isabelle Melançon
Isabelle Melançon, PDG de l'Institut de Développement Urbain du Québec (IDU), fait partie des voix dissonantes face à l'entrée en vigueur de ce projet tel qu'il est.
Dans un discours d'une dizaine de minutes, elle a exprimé son point de vue lors d'une commission parlementaire tenue en septembre 2023. Voici les principaux points à retenir.
Un déséquilibre entre les acteurs
Dans ce projet de loi, la ministre des Transports a annoncé vouloir préserver l'équilibre entre expropriants et expropriés. Selon l'ancienne députée, il n'en est rien, puisqu'elle met justement en exergue un déséquilibre en faveur de l'expropriant « qui deviendrait juge et partie ».
Elle a également annoncé défendre le point de vue de la partie expropriée qui, d'après elle, n'a jamais été consultée lors de l'élaboration du projet.
Une surcharge inutile du système de justice
Elle a ensuite souligné la pression plus importante qu'entrainerait une telle législation sur le système de justice, alors que les tribunaux sont déjà surchargés. Une responsabilité supplémentaire qu'elle ne juge pas pertinente, puisqu'elle a déclaré que « plus de 90% des dossiers d'expropriation au Québec se règlent hors cours ».
Banalisation de l'expropriation
Autre élément mis en avant dans son argumentaire : la facilitation du processus d'expropriation prévue par la législation. Elle a tenu à rappeler que cette manoeuvre correspondait à une situation où « le propriétaire ne demande pas à vendre mais on lui achète malgré lui ». Avant d'ajouter que « l'expropriation constitue déjà l'atteinte la plus radicale au droit de propriété ».
Baisse de l'indemnisation pour l'exproprié
Avec cette nouvelle loi, l'indemnisation prévue pour l'exproprié serait revue à la baisse. Une situation inacceptable selon Isabelle Melançon, qui estime que « si le citoyen est frappé par l'expropriation, l'indemnité doit lui permettre de se procurer une chose absolument semblable ».
Mauvais signal envoyé aux investisseurs
L'entrée en vigueur d'une telle loi porterait atteinte à l'attractivité économique du Québec. L'ancienne députée rappelle que les lois des autres provinces n'ont pas tenté de modifier ce concept, arguant que « demeure toujours le principe fondamental en matière d'indemnisation, confirmé par la jurisprudence de ces provinces ».
Ce projet de loi peut évidemment être amené à évoluer dans les prochaines semaines. Nous vous tiendrons au courant de l'avancement de ses contours prochainement.
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